L'APPRENTISSAGE
- Pouvez-vous nous parler de l’enfance de votre mari?
Philippe était le 3e de 4 enfants, il avait 2 frères plus âgés et une sœur
plus jeune.
- Ses parents étaient-ils versés dans les arts ?
Il est le seul à avoir évolué vers les arts. S’il fallait chercher des
origines, on pourrait peut-être citer son grand-père maternel, photographe
amateur passionné qui réalisait des clichés de grande qualité dans les
années 1900 avec un appareil à plaques.
Philippe a commencé à dessiner vers 7 ans, en copiant d’abord les petits
journaux pour enfants auxquels il était abonné, essayant d‘en reproduire les
images.
- Quels étaient ses peintres, illustrateurs, dessinateurs préférés ?
Les dessinateurs Benjamin Rabier et Pierre Joubert l’ont beaucoup marqué
dans son enfance, et beaucoup influencé.
Par la suite, il a admiré les illustrateurs Barbara Pearlman (dessin de
mode), René Gruau, et, chez Hachette, Jean Reschofsky, Paul Durand, Jacques
Pecnard. Avec Jacques Poirier, connu aux Beaux-Arts, collaboration amicale
et harmonieuse sur plusieurs années pour illustrer en commun chez Hachette
les encyclopédies enfantines « Dis, pourquoi ?, Qu’est-ce que c’est ?, Où
est-ce ?, Qui est-ce ?, Que ferai-je plus tard ? ».
Philippe a évidemment beaucoup étudié et admiré les grands maîtres de la
gravure et de la peinture que l’on ne peut citer tous. Parmi les plus
récents ou contemporains, on retiendra le sculpteur Henry Moore, et les
peintres Hokusai, Zao Wou-ki, Paul Klee et d’autres, surtout Serge
Poliakoff.
LES DEBUTS
- Quel a été son premier dessin publié ?
Un dessin .... pour une revue agricole.
Et le premier livre qu’il a illustré pour Hachette était « Vacances Romaines
».
- Appréciait-il de travailler pour la publicité ?
Oui. Il trouvait cela varié et valorisant. Il avait toujours des relations
cordiales avec les directeurs artistiques de ces agences.
- A-t-il réalisé des affiches pour le cinéma et le théâtre ?
En ce qui concerne le cinéma, il y a eu quelques projets mais qui n‘ont pas
abouti, Pour le théâtre, dans sa jeunesse, il a dessiné des costumes et des
décors pour le Théâtre du Vieux Colombier à Paris.
Et, pour le magazine Constellation, il allait parfois au théâtre et
reproduisait ensuite, de mémoire, des scènes vues durant les pièces.
LE DESSIN
- Quelles techniques picturales utilisait-il et laquelle avait sa préférence
?
Pinceau, crayon, encre, plume, et, pour son plaisir, le roseau, moins connu,
mais qu’il aimait pratiquer.
Très peu d’aquarelle, bien qu’il ait été tenté, et un peu d’acrylique sur la
fin...
- Quels étaient son format et son support de prédilection ?
Cela dépendait, pas trop petit, en général plus grand que le format final.
Les supports pouvaient être très différents aussi bien en taille qu‘en
grammage.
- Travaillait-il en atelier mais aussi en plein air ?
Oui, il aimait beaucoup dessiner en plein air mais pas pour le travail,
seulement pour le plaisir. Il ne se lassait jamais alors de dessiner des
arbres. Philippe a presque toujours travaillé au sein de l’appartement
familial, dans une pièce qui lui servait d’atelier. Il aimait être entouré
de vie, tout en protégeant son espace personnel.
- Travaillait-il sur support photo ou d’après nature ?
Les deux. Il s’inspirait de photos trouvées dans des magazines, cherchant
des poses qu’il avait choisies pour ses illustrations et, s’il ne trouvait
pas, il
demandait à ses proches de poser.
Philippe a beaucoup fréquenté les bibliothèques, musées et autres lieux,
afin de rassembler la documentation indispensable pour que les illustrations
reproduisent aussi fidèlement que possible les lieux, les époques ou les
costumes évoqués par les auteurs. Par exemple, le Musée de la Marine pour
trouver les navires adéquats de Richard Bolitho.
- Ecoutait-il de la musique en travaillant ?
Tout le temps ! C‘était un grand amateur de musique classique, mais aussi de
jazz. Quand il entendait un enregistrement qui lui plaisait, il n’était pas
rare qu’il en note la référence sur le bord de l’esquisse qu’il était en
train de travailler, afin de le trouver ensuite dans le commerce.
Parmi ses compositeurs préférés, Schubert et Ravel.
- Faisait-il des croquis avant de mettre en couleurs ses dessins ?
Systématiquement. Souvent, plusieurs essais.
LES MODELES
- Sa famille servait elle de modèle ? Vous demandait-il de poser ?
Oui, il nous demandait quelquefois de poser.
- Aimiez-vous être dessiné ?
Nous le faisions très volontiers, heureux de pouvoir l'aider un peu, mais
nous n'étions pas demandeurs.
- Aviez-vous des animaux de compagnie à la maison ?
Ni chat, ni chien, au grand regret d’un des 2 enfants...
Il y a eu 2 oiseaux Bengali, un hamster, un poisson rouge, et même 2
poussins pendant quelques semaines...
- Faisait-il poser son entourage autre que familial ?
Non. Mais il a reçu quelques modèles professionnels pour différents travaux
(hors Hachette), et des mannequins (dessin de mode).
LA LITTÉRATURE JEUNESSE
- Comment est-il passé à l’illustration jeunesse ? L’a-t-iI regretté ?
Il faut savoir qu’à une époque, les dessins étalent omniprésents dans la
publicité mais ils ont très vite été supplantés par la photo et c’est à peu
près à cette période que les livres pour enfants ont pris leur essor.
Mais tout s'est fait naturellement et il n’a pas eu à le regretter.
- Lisait-il les livres qu’il devait illustrer ?
Toujours ! Plutôt 2 fois qu'une. Philippe était très respectueux à ce
niveau.
- Présentait-il plusieurs projets de couvertures et d’illustrations
intérieures ?
Oui, il y avait en général deux projets pour la couverture, un seul pour les
dessins noirs. Mais c’est toujours l’éditeur qui faisait le choix final pour
la couverture. Une ultime retouche pouvait parfois être demandée à la remise
définitive chez l'éditeur. Philippe devait donc apporter un peu de matériel, sinon
l’éditeur fournissait le sien.
A noter que pendant une assez courte période, l’éditeur avait choisi de
demander à une tierce personne la mise en couleurs des couvertures.
- Se sentait-il libre, reconnu et apprécié dans son métier ?
Libre, oui, mises à part les contraintes obligatoires de présentation de
l’édition commerciale. Sa longévité chez Hachette (près de 50 ans) prouve
qu’il était largement reconnu et apprécié.
- Préférait-il illustrer des livres pour enfants ou pour adultes ?
Le cas ne s’est pas présenté puisqu’il n'a illustré pratiquement que des
livres pour la jeunesse.
- Avait-il la possibilité d’exprimer son choix ou son refus ?
Le choix des livres au début revenait à l’éditeur. Dans les séries, en
général, l'illustrateur ne changeait pas s’il donnait satisfaction.
L’illustrateur pouvait refuser un travail, s’il était surchargé par exemple.
- Etait-il satisfait de son travail ?
Pas toujours, comme tous les artistes. Il arrivait aussi que, content de ses
dessins, Philippe soit déçu par le rendu imprimé, à cause d'une qualité
médiocre de papier.
LES AUTEURS
- Quels étaient ses auteurs préférés, parmi ceux qu’il illustrait ?
C’est Fantômette qu’il a illustré avec le plus de plaisir au fil des années.
A chaque parution, Georges Chaulet lui envoyait un mot drôle de
félicitations.
Mais Philippe aimait aussi beaucoup dessiner les aventures de Michel, et
appréciait les conseils et précisions que Georges Bayard lui donnait sur les
personnages ou les lieux de l’action par exemple.
ll était sensible à la bonne tenue des textes de Richard Bolitho.
Et il avait regretté l’absence d’un contact avec Suzanne Pairault (Jeunes
Filles en Blanc).
- Aurait-il aimé
illustrer des oeuvres d'autres auteurs qu'il admirait en particulier ?
Il rêvait de faire des illustrations imprimées sur un très beau papier...
avec de bons auteurs sans doute.
- Se refusait-il à illustrer certains auteurs ou certains thèmes (érotisme,
guerre par exemple) ?
Le cas ne s'est pas présenté.
LA RECONNAISSANCE
- Recevait-il des demandes de collaboration directement de la part des
auteurs ?
Non. Sauf dans la publicité, et chez GP Rouge et Or pour un ou deux titres.
- Etait-il invité dans les salons du livre ?
Bien sûr, il a participé à plus de 20 salons du Livre Français.
- Recevait-il du courrier d’admirateurs ?
Cela arrivait, mais toujours par l’intermédiaire de Hachette son éditeur.
- Etait-il invité à I’étranger ?
Non, à l’exception d’une fois pour des travaux de mode avec les magasins
C&A en Hollande.
LES AUTRES ARTS
- Avait-il une ou plusieurs passions autres que le dessin ?
Pas vraiment, le dessin et la peinture étaient réellement toute sa vie, sa
passion et accaparaient presque tout son temps.
- Est-ce que le dessin et la peinture (s’il peignait pour lui) étaient un
tout ou deux activités différentes ?
Deux activités bien distinctes.
- Lorsqu’il réalisait des tableaux, étaient-ils d’une facture différente
?
Complètement.
- A-t-il enseigné son art ou aurait-il aimé le faire ?
ll n'avait ni le goût, ni le temps pour cela, mais il a tout de même donné
quelques cours à des connaissances, accompagnés d’une vraie formation sur
l’histoire de l’art. Ceci dit, il n’a jamais incité ses propres enfants à
suivre sa voie.
- A-t-il utilisé des pseudonymes dans sa carrière ?
Non.
LE MARI, LE PERE
- A-t-il encouragé sa femme et ses enfants à des activités artistiques ?
Non, comme il a été déjà dit. Mais nos conversations en famille, au cours
des repas par exemple, étaient très ouvertes et chacun pouvait développer
son point de vue même sur des questions artistiques.
- Est-ce qu’il vous demandait votre avis sur des dessins.
Oui, c’est arrivé, mais rarement, pour le choix d’une couleur ou d’une position.
- Quelle a été l'influence de son travail sur votre vie ?
Très importante, évidemment. Nous admirions sa facilité à dessiner n’importe
quoi, par exemple pour nous donner une explication.
Nous étions fiers de son travail.
- Parlait-il de son travail en famille ?
Pas tellement. Philippe était d’un naturel discret, et se livrait peu.
LA NOTORIÉTÉ
- Reconnaissez-vous l’influence du style de votre mari sur d’autres
dessinateurs qui ont suivi ?
Difficile à dire... non ?
- Avez-vous fait ou pensez-vous faire une exposition sur votre mari ?
Oui, en 2005 dans le Val d’Oise, une très belle exposition lui a rendu
hommage. Georges Chaulet était venu en ami. Cette exposition a été
partiellement prolongée à Brest en 2006.
- Ses originaux sont-ils entre les mains de ses éditeurs ou de
collectionneurs ?
Jusqu’en 1978, les dessins étaient conservés par l’éditeur, c’était dans le
contrat qui les liait. Ensuite Philippe a pu récupérer ses originaux. Malgré
des demandes américaines, il ne s’est jamais résolu à en vendre, considérant
son éditeur comme « moralement » propriétaire des œuvres.
- Quelle est la réalisation dont il était le plus fier ?
Il ne l'a jamais précisé. Je dirais... une affiche qu'il a réalisée pour
Edith Piaf dans sa jeunesse en 1951, et que I'on voyait alors sur les murs
de Paris.
- Y a-t-il quelque chose dont vous auriez aimé nous parler et que nous ne
vous avons pas demandé ?
On peut signaler que Philippe Daure n’a jamais eu de contrat d’exclusivité
chez Hachette. Les contrats étaient signés livre par livre.
Note du webmaster :
Un grand merci à l'épouse de Philippe Daure pour avoir pris le temps
de répondre à ce questionnaire qui complète à présent, et sous un angle resté
jusqu'ici inédit,
les illustrations du site internet.
© Juin
2013, philippedaure.chez.com
Pour toute reproduction de cet entretien, même partielle, merci de nous
adresser une demande. |